L’Etat est-il un bon vendeur ? Pas tout à fait, à en croire la plus haute juridiction financière française. C’est spécifiquement l’un des ministères, en l’espèce celui des Armées, qui est pointé du doigt pour son manque de « flair commercial ». Les biens accumulés par le ministère (casernes, camps, bases) constituent, dans le cadre des lois de programmation militaire (LPM) 2009-2014, puis 2014-2019, des ressources dont la valeur est indispensable pour l’équilibre du budget global de la mission de défense de l’Etat. La Cour des Compte reconnaît d’ailleurs que leur cession est « une nécessité absolue pour le ministère des Armées ». Il est à noter que la vente des biens immobiliers parisiens (13 opérations) est à l’origine des principales recettes du ministère entre 2009 et 2019 (60 %), avec un montant cumulé de 1,06 milliard d’euros. Au total sur la période, le montant cumulé des recettes a dépassé la barre des 1,8 milliard d’euros pour plus d’un millier d’opérations.

Des actifs pas cédés au meilleur prix

Seulement voilà, les recettes dégagées à l’issue des ventes apparaissent en décalage avec les projections initiales. Afin de respecter les délais fixés par les LPM pour de ne pas déséquilibrer le budget du ministère, certaines cessions ont été réalisées à la « va-vite », conclues avec le plus offrant du moment, sans se donner la possibilité, par manque de temps, de conclure un accord plus lucratif. « Pour plusieurs de ces cessions, le choix de les réaliser au plus tôt pour respecter les délais fixés par la LPM, a conduit l’Etat à prendre des risques dans les négociations et à ne pas saisir des opportunités de céder au meilleur prix » est-il déploré dans le rapport. Ainsi, le processus de quatre opérations de cession à Paris « laisse penser que le ministère des Armées a poussé pour une réalisation rapide de la négociation afin de garantir un encaissement dans les délais contraints de la LPM. Cette impatience et ce volontarisme ont parfois entraîné une issue moins favorable ou une prise de risque dans la conclusion de la vente ».

De plus, le rapport indique que quatre biens, dont l’hôtel de la Marine (8ème), ont fait l’objet d’un transfert vers d’autres ministères (de la Culture pour l’hôtel de la Marine), et non d’une vente pure et simple. Seulement, les compensations financières, prévues et actées, devant découler de ces transferts n’ont, à date, toujours pas été régularisées. Les sages de la rue Cambon ciblent également l’absence de procédures de cessions, avec publicité et mise en concurrence entre les prétendants au rachat, pour la plupart des biens immobiliers cédés qui sont situés à Paris. Et ce, en dépit de leur « caractère exceptionnel, lié à leur emplacement géographique et à leur qualité architecturale ».

La Mairie de Paris en travers de la route

La tâche du ministère des Armées n’a pas non plus été facilitée par l’irruption d’un concurrent inattendu : la Mairie de Paris. Cette dernière dispose, en effet, d’un droit de priorité sur tout objet de cession en vertu des dispositions du Code de l’urbanisme, ainsi que de la loi Duflot relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement. Un tel dispositif entraîne une décote sur la valeur des actifs cédés dès lors que leur cession permet la création de logements sociaux. « La contribution du ministère des Armées à la politique en faveur du logement à Paris, sous forme de moins-value sur ses recettes attendues, a pesé lourd dans sa trajectoire budgétaire » fustige la Cour des Comptes. Le montant des décotes accordées s’élèverait à près de 90 millions d’euros. Soit autant d’argent qui n’est pas venu remplir les caisses du ministère des Armées.

La Cour des Comptes pointe du doigt la « schizophrénie » de l’action de l’Etat, désireux en même temps de « maximiser ses ressources budgétaires en fixant le prix de vente de ses cessions au niveau le plus élevé », tout en souhaitant « favoriser le logement social dans les villes les plus contraintes », ce qui a comme conséquence d’imposer des obligations lourdes aux vendeurs, limitant ainsi leurs possibilités d’optimisation financière du foncier en zone urbaine…

La Cour des Comptes épingle le ministère des Armées au sujet de ses cessions immobilières