Une architecture religieuse datant des 17ème et 18ème siècles au service de l’architecture de demain : tel est le « sacerdoce » de l’ancien couvent des Récollets depuis qu’il accueille en son sein la Maison de l’Architecture Ile-de-France. Non loin de l’imposante gare de l’Est, ce lieu accueillait le 18 octobre une conférence-débat autour d’un concept qui séduit de plus en plus : la construction hors site. Première interrogation : en quoi consiste-t-elle ? Nous pourrions la définir comme un « process » de construction impliquant la planification, la conception, la fabrication et le transport des éléments modulaires, préfabriqués, pour leur assemblage sur site. « Depuis quatre ans, des réflexions et autres explorations sont menées concernant le hors site » a introduit Léa Mosconi, présidente de la Maison de l’Architecture Ile-de-France. « Ce débat s’est peu à peu déplacé, s’extrayant d’un champ strictement réservé aux architectes et ingénieurs pour investir celui du politique ».

Pas un assemblage de pièces de Lego

Fabien Gantois, président du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Ile-de-France, a embrayé pour définir la position nuancée, à la fois volontaire, mais aussi prudente, de sa profession face à ce nouveau défi : « oui, de prime abord, le hors site peut sembler antinomique avec notre profession. Un bâtiment n’est pas un assemblage de pièces de Lego, un empilement de matériaux. C’est une réflexion, une inscription dans un environnement, un paysage, un contexte urbanistique. Nous faisons du sur-mesure, procédons au cas par cas, et honnissons la standardisation industrielle ». Voilà qui est dit, posé d’emblée. Malgré cela, « toutes les décennies arrivent avec leurs problèmes nouveaux que l’architecture se doit de résoudre ! ». Les problèmes de notre époque sont connus : crise du logement, pénurie de main-d’œuvre sur les chantiers, permis de construire peu délivrés, transition écologique prééminente. Face à cette situation, les architectes ont décidé de faire confiance, tout en étant vigilants. Confiance en de nouveaux outils jusqu’ici encore peu utilisés, mais qui peuvent représenter une solution à une partie des problèmes évoqués ci-dessus. « Les défis qui s’imposent à nous sont les suivants : il faut construire plus et plus vite, décarboner le bâtiment, réduire les nuisances induites par les chantiers pour les populations alentour, améliorer les conditions de travail des ouvriers… » a énuméré Fabien Gantois. « Dans ces conditions, le hors site peut être une alternative, à condition qu’il ne consiste pas en une accumulation de boîtes à chaussures indifférenciées et peu attractives. Il est nécessaire de faire du hors site sans être hors-sol ! ».

« Nul acteur ne doit être lésé ! »

Une table ronde a ensuite réuni Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes ; Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) ; Laurent Girometti, directeur général d’EpaMarne-EpaFrance et Jean-Michel Morer, maire de Trilport, commune de 5 000 habitants de la Seine-et-Marne (77). Christine Leconte a naturellement abondé dans le sens de son confrère Fabien Gantois, alertant sur les dérives possibles du hors site, en ce qui a trait à une homogénéisation à marche forcée, une standardisation généralisée, des bâtiments ainsi construits. « Les constructions doivent faire l’objet, en amont, de consultations importantes, de phases contractuelles exigeantes, entre les différents acteurs impliqués : ingénieurs, maîtres d’œuvre, architectes, industriels… Nul ne doit être lésé et la profession des architectes met un point d’honneur à faire entendre sa voix en toutes circonstances ». Elle a aussi rappelé que le hors site ne sera possible qu’en ayant recours aux matières premières de proximité, au réemploi des matériaux et à l’économie circulaire. La création de filières locales doit aussi être favorisée, encouragée. Laurent Girometti a, de son côté, encouragé le hors site à s’inscrire dans un lieu donné, un contexte, à l’instar de ce qui est défendu par la corporation des architectes ; il a cité le nouveau groupe scolaire livré dans la commune de Bussy-Saint-Georges (77), au cœur de l’écoquartier du Sycomore, comme étant une réussite de constructions modulaires assemblées sur site. Emmanuelle Cosse, en tant que représentante du logement social, a, quant à elle, tenu à désamorcer une idée reçue : non, construire en hors site ne coûte pas moins cher, « mais ça va, en revanche, plus vite ».

Aider le logement de façon globale

Le gain de temps semble être un argument de poids en sa faveur en temps de crise, où l’urgence de production devient chaque jour plus pressante. L’ancienne ministre du Logement a cité en exemple une situation qu’elle a eu à gérer lorsqu’elle était en fonctions : l’hébergement d’urgence de migrants de la jungle de Calais. « Le préfabriqué, par sa rapidité de réalisation, s’est révélé particulièrement adapté à la situation que nous devions gérer. Cependant, je ne pense pas qu’il ne se prête qu’aux cas d’urgence, il peut être généralisé à d’autres usages ». Le hors site ne serait pourtant pas la panacée, la solution miracle aux nombreuses crises de l’habitat qui émaillent notre pays. « Il faut aider le secteur du logement de façon globale, le hors site n’est qu’un élément parmi d’autres » s’est exclamée Emmanuelle Cosse. « Ce qu’il est nécessaire de faire, c’est d’utiliser tous les moyens modernes qui sont à notre disposition pour produire plus et mieux ! ». De plus, le hors site ne doit pas être une constructibilité éphémère, évanescente ; il doit, au contraire, être synonyme de durabilité et de pérennité. Pour Laurent Girommeti, si la modularité présente des atouts, « la structuration d’une véritable filière sera déterminante ». Jean-Michel Morer, maire de Trilport, s’est chargé de rappeler une énième fois au cours de cette matinée la nécessité pour un logement d’être un lieu d’épanouissement. Il reconnaît lui-même, en tant qu’édile, avoir refusé d’attribuer des autorisations à des « projets tridimensionnels », pourtant complètement fonctionnels et respectueux des normes environnementales, pour le motif que la « qualité architecturale n’était pas au rendez-vous ». « Un bâtiment doit résulter d’un travail créatif, d’une certaine désirabilité » a-t-il affirmé.

Bientôt une filière d’excellence ?

Pierre Paulot, directeur de la maîtrise d’ouvrage 3F, et Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris Express (SGP), ont ensuite signé la Charte pour le développement de la construction hors site. Pour Bernard Cathelain, « il faut désormais lever les inquiétudes qui subsistent afin de structurer la filière. Les chantiers de travaux, peu sécurisés pour les ouvriers, ont été évoqués précédemment. C’est un vrai fléau et la construction hors site peut, de ce point de vue, permettre de limiter ces risques en repensant complètement la manière de bâtir (…) Les acteurs doivent s’accorder sur un vocabulaire commun, un socle déterminé, sans pour autant verser dans le standardisé. C’est justement l’objet de cette Charte ». En aval de l’annonce de la création de l’Association pour le développement de la création hors site, l’un des représentants du promoteur GA Smart Building, dont 100 % des réalisations sont conçues hors site au sein des huit usines que possède le constructeur, s’est exprimé pour dire tout le bien qu’il pensait de ce mode constructif. En conclusion, Jean-Philippe Dugoin Clément, vice-président du Conseil Régional d’Ile-de-France, a qualifié le hors site de phénomène « embryonnaire, pas encore totalement structuré, qui doit trouver son modèle économique pour obtenir des gains financiers ». « Il faut transformer les échanges théoriques en actes concrets et prouver que la construction hors site n’est pas du low-cost ou du cheap. » Reviennent alors en mémoire les mots de la Première ministre, Elisabeth Borne, tenus en juin dernier : « la construction hors site doit devenir une filière d’excellence ! ». Pari bientôt relevé ?

La construction hors site : une solution crédible pour l’avenir ?