Une crise qui dure, dure, dure. Dans les centres-villes et les galeries marchandes, certains rideaux métalliques viennent de tomber. Définitivement. Irrémédiablement. La casse sociale n’a pu être empêchée : des centaines de salariés sont concernés, certains par le chômage, d’autres par un aléatoire recasement à la suite d’une reprise en forme de trompe-l’œil. Car le constat est là, implacable : de plus en plus d’enseignes « middle market », qui ont habillé plusieurs décennies durant cette classe moyenne française qui constitue le gros de la population, hommes et femmes, petits et grands, sportifs ou pas forcément, dégringolent les unes après les autres. Go Sport, Camaïeu, San Marina et d’autres ne sont plus. Engloutis par la modernité. Par les crises. Par le marché. Pour des raisons différentes, évidemment. Un premier bloc se détache, celui de l' »empire » Ohayon, colosse aux pieds d’argile, fossoyeur devant l’éternel. Tout ce que l’homme d’affaires touche, à défaut de se transformer en or, semble se déliter avec une rapidité qui forcerait presque l’admiration. Le dernier acteur en date à subir les conséquences des talents entrepreneuriaux de notre homme ? L’enseigne GAP, américaine de naissance, rachetée par le Bordelais et détenue par sa société Hermione People & Brands (HPB). Les 20 magasins français accusent un passif estimé à 25 millions d’euros, selon une information dévoilée par nos confrères de « Libération » ; ces boutiques se sont déclarées en cessation de paiements devant le tribunal de commerce de Grenoble, qui va devoir statuer sur leur avenir et, surtout, celui de leurs effectifs. La décision pourrait être rendue dès le mercredi 1er mars. Avec un suspense mince…

Allègements et aménagements

Ces chutes en cascade peuvent-elles être imputées, même dans une petite mesure, aux prix de l’immobilier, à l’inflexibilité de bailleurs peu enclins à négocier avec des locataires en délicatesse ? Pas vraiment, à en croire Christian Dubois, grand spécialiste du commerce chez Cushman & Wakefield : « à la différence du logement ou de l’immobilier de bureaux, le commerce est dit de ratio, avec des chiffres d’affaires enregistrés et des loyers payés qui vont de pair. Les bailleurs vont avoir tendance à consentir, en grinçant des dents, à des allègements ou des aménagements provisoires des loyers afin d’accompagner les difficultés rencontrées par une enseigne à un instant T ; en clair, si ces difficultés relèvent du conjoncturel et non d’une défaillance structurelle ». De plus, les valeurs locatives sont dans une tendance générale baissière depuis 2019, de 10 % sur les artères de proximité à 20 % sur les grandes artères commerçantes ; voire 30 % dans quelques rares cas. Le taux de vacance augmentant, la baisse de la valeur locative suit logiquement. Pour les centres commerciaux, les bailleurs sont particulièrement attentifs, bilans mensuels ou trimestriels à l’appui, aux résultats des enseignes qu’ils hébergent, redoutant des fermetures et une vacance nuisible aussi bien à leur image qu’à leurs rentrées d’argent. Là encore, les bailleurs ont donc tendance à être conciliants.

Entre le luxe et le « hard discount »

Reste la périphérie, ces fameuses entrées de ville où fleurissent ces nouveaux « retail parks » qui ont tant la cote. La combinaison valeur locative stable depuis le Covid (voire baissière) et implantation d’enseignes dites de « hard discount » ou « fast consuming », attirant de plus en plus de clients dans un contexte d’inflation galopante et de pouvoir d’achat réduit, semble fonctionner. D’ailleurs, à l’autre extrémité de la chaîne, le luxe se porte également bien, ce marché de niche n’étant pas délaissé par sa clientèle habituelle pour qui les crises successives ne semblent pas revêtir la même signification que pour le reste de la population. Au milieu, pris en tenaille entre ces deux pôles (luxe et « hard discount »), le « moyenne gamme », surtout dans le textile et l’habillement, suffoque. « Il y a sûrement une baisse de la consommation dans ces secteurs, avec des consommateurs qui achètent moins ou autrement » explique Christian Dubois. « Les problèmes structurels de certaines enseignes sont à rechercher du côté de leur activité, à leur adaptation à un marché sans cesse en mouvement, à leur modèle de gestion… L’immobilier n’est pas désynchronisé des problématiques d’exploitation des enseignes ».

Hécatombe dans le prêt-à-porter : l'immobilier plaide non coupable…