Logement

La politique du logement à l’heure de la priorité nationale pour la défense

15 Avr 2025 - 09h30

La priorité à la défense nationale va accentuer la logique d’économie sur la politique du logement, l’acter peut-être durablement : voici un nouveau point de vue de François Rochon*, urbaniste, docteur des Ponts et chaussées…

Notre pays doit désormais faire face à une accentuation supplémentaire de son effort de défense. Alors que les années Macron sont déjà marquées par des économies substantielles sur la politique du logement, contribuant de ce fait à financer les augmentations engagées d’autres priorités, il est nécessaire de s’interroger sur le devenir de cette politique publique, aux 40 milliards de dépenses et 70 milliards de recettes fiscales, tant elle est liée à l’impulsion publique, voire à son soutien financier direct.

Une politique du logement au tournant

La politique du logement en France est critiquée pour son inefficacité, sur les trois dernières décennies, à cause de l’émergence du mal-logement, dénoncé par la Fondation pour le logement des personnes défavorisées. Un diagnostic largement partagé par les professionnels, comme les citoyens. Mais cette politique reste loin des priorités parce que la grande majorité des Français demeurent bien, voire mieux logés. Surtout, ce paradoxe perdure du fait que la politique du logement se résume à une bataille de chiffres sur la construction. La Nation fait son possible pour maintenir un haut régime de production, entendu comme la réponse politique imparable.

C’est aussi que les autres formes de régulations tentées ne fonctionnent qu’à la marge, quand elles ne se révèlent pas, tout simplement, une forme d’impasse. Le droit au logement opposable de Jacques Chirac se solde par une concurrence exacerbée des publics prioritaires. La France de propriétaires de Nicolas Sarkozy se traduit par une stagnation du taux de propriétaires. La régulation des loyers de François Hollande n’a pas empêché que perdure un marché rare et cher. Enfin, l’approche financière et technique d’Emmanuel Macron débouche sur une crise immobilière historique. Les paradoxes sont malheureusement récurrents.

C’est pourquoi il est essentiel de prendre en compte, également, les effets non explicites, voire non voulus, qui accompagnent la politique de construction. On le sait peu, le principal effet de long terme dans ce domaine est la croissance du parc social, qui atteint 17 % des résidences principales. Il constitue désormais un maillon déterminant de la chaîne, tant par son poids dans le système que par son mode de production. En effet, la moitié des nouveaux logements sociaux est désormais achetée directement aux promoteurs privés, soutenant leur activité. Par conséquent, le débat ne porte plus sur le pour ou contre, ni sur qui sera logé dedans, mais bien sur le comment. Comment développer la puissance de notre instrument cardinal de régulation ?

Il a les mêmes atouts et faiblesses que notre système de retraites. Sa force découle de son rattachement direct au pacte républicain. Il participe à la promotion, pour ne pas dire à la défense, de notre conception de la démocratie. Sa limite vient du manque de plasticité du système, inhérent à la volonté d’une continuité de l’action, évitant les chocs, les effets de ruptures.

Pour ce qui est du locatif privé, on le sait encore moins, le volume disponible stagne malgré les incitations fiscales aux ménages, dont les revenus leur permettent d’investir au-delà de leur seule résidence principale. Cette politique coûte cher, pour peu de résultats en volume. Elle perdure seulement parce que notre économie immobilière ne parvient pas à concevoir une alternative rentable répondant aux deux conditions intangibles : des logements dignes, décents et à des prix soutenables pour les locataires dans le but de ne pas ruiner les propriétaires. Le bilan est que seule la France des multipropriétaires développe son patrimoine, au détriment des nouveaux candidats à l’accession à la propriété.

Il en ressort ce qu’il est convenu d’appeler, depuis quelque temps, une « bombe sociale à retardement ». Indépendamment du débat idéologique sur les inégalités, les creuser dans l’immobilier résidentiel va immanquablement causer des problèmes économiques, à mesure que l’héritage pèsera sur le marché, et donc sur les trajectoires résidentielles des ménages.

Dans ces conditions, la mise à l’agenda politique de la défense nationale au premier rang des priorités, sur le moyen voire le long terme, impose d’orienter le débat stratégique de la politique du logement dans une direction claire et nouvelle. Dorénavant, répondre aux défis de la crise du logement à la française passe par un chemin plus économe en dépense publique, car il s’agit aussi de contenir la dette. Le défi n’est pas seulement conjoncturel. L’admettre apparaît comme une nécessité, du moins l’hypothèse première.

Un principe d’innovation à mettre en œuvre

Notre modèle social fait partie de la défense de notre conception de la « République ». Il est une condition de l’adhésion de la population à la tournure que prend l’avenir et il entre pleinement dans notre pouvoir de convaincre (« soft power »). En matière de logement, nous avons tout à gagner à hisser les ambitions à la hauteur des grandes heures passées de cette politique. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la reconstruction du pays a été menée, puis la rénovation du parc a été entreprise. Le progrès a été au rendez-vous.

Aujourd’hui, l’enjeu ne porte pas tant sur le volume de construction ni sur la décence du parc. L’histoire a montré que nous savons résoudre ces deux questions majeures, si bien que le débat sur les normes en devient secondaire. Ce qui s’impose à nous est la refonte de notre système de financement, qui permette de traiter conjointement l’accession à la propriété, le locatif privé et le logement social. Nous avons pour cela trois leviers systémiques. Le premier, transversal, est celui du foncier et donc de la propriété, davantage en faveur de l’usage. Le deuxième porte sur le déploiement du logement social généraliste, parce qu’il pèse à la baisse sur le marché. Le troisième impose de professionnaliser le secteur locatif pour des loyers contenus et la diffusion du patrimoine.

 

*François Rochon est notamment l’auteur de « Logement : critique d’une politique impossible », l’Aube, 2023, et « La République des HLM », l’Aube, 2024

 

Valérie Garnier