Vous prenez la présidence du conseil de surveillance le 1er janvier 2022. Comment envisagez-vous ces fonctions et le travail avec Benoist Apparu ?

Dans un monde qui change à grande vitesse, et dans un secteur où de grandes mutations sont en cours, il était essentiel pour moi de consacrer davantage de temps à la stratégie qu’au pilotage opérationnel quotidien. Emerige a toujours su être innovant et se réinventer et c’est cette ambition que je veux poursuivre à la tête du conseil de surveillance. Benoist Apparu a été un grand ministre du Logement et a transformé avec succès In’li. C’est le meilleur choix pour piloter les activités résidentielles et tertiaires et garantir l’exigence de qualité qui fait la force d’Emerige depuis plus de 30 ans.
Ce tandem que je vais former avec Benoist Apparu va permettre au groupe de se développer sur de nouveaux territoires et d’écrire, j’en suis sûr, l’une des plus belles pages de l’histoire d’Emerige.

Quelles sont les dates clés de votre parcours professionnel ?

Je pourrais évoquer pour commencer mes vrais débuts dans la profession. En 1987, j’ai acheté un poulailler à Puteaux que j’ai pu vendre pour le transformer en local tertiaire. Cette opération m’a permis… la création en avril 1989 de Transimmeubles, qui deviendra Emerige en 2009. L’année 2000 marque pour nous le début des opérations pour compte de tiers (avec, notamment, la transformation des anciens locaux de l’Imprimerie Nationale pour Carlyle). Puis 2006, c’est l’arrivée dans notre capital de Natixis et de Rothschild ; 2011, la création de notre fonds d’investissement ; 2014, notre ambition de passer à la vitesse supérieure en matière de logements avec, notamment, le recrutement de Christophe Bacqué et François Bertrand, nous faisant ainsi passer de 200 logements construits par an… à 2 000 aujourd’hui. En 2015, j’ai eu l’idée, et la joie d’être suivi par presque toute la profession, de l’opération « 1 immeuble, 1 œuvre », saluée par le ministère de la Culture. Le 3 février 2016, nous avons été lauréats de Réinventer Paris pour le programme « Morland Mixité Capitale ». Et plus récemment, on peut saluer en 2019 l’arrivée d’Eurazeo à notre capital. Et 2022 sera une nouvelle étape…

La date la plus précise de cette liste concerne l’opération « Morland ». Où en est-elle aujourd’hui et que pensez-vous de cette réalisation ?

Il faut d’abord souligner que tous les promoteurs connaissaient le bâtiment « d’avant » ou siégeaient beaucoup de directions administratives de la Ville. Chacun pouvait constater combien l’immeuble était austère [Laurent Dumas emploie ici une litote car l’immeuble était extrêmement « fatigué » ! Ndlr] et combien, également, son emplacement était unique au bord de la Seine, mais sans animation, sans lien clair avec la vie urbaine. Quand j’ai su que cet ensemble était un de ceux retenus pour « Réinventer Paris », j’ai tout de suite saisi l’extraordinaire opportunité que cela représentait. Et, immédiatement, j’ai voulu faire appel à deux artistes exceptionnels : David Chipperfield, dont la renommée est mondiale pour ses capacités de restructuration de bâtiments, et Olafur Eliasson car il correspond bien à notre ADN : l’art au service de la qualité des bâtiments. Dès le début, et répondant ainsi aux préoccupations de la Ville, nous avons insisté sur les onze destinations différentes que ce bâtiment devait avoir et notamment sur la dimension « agriculture urbaine », beaucoup moins à la mode alors qu’aujourd’hui. Nous souhaitions impérativement, également, que les Parisiens puissent s’approprier cet endroit. Chacun pourra emprunter la rue piétonne, aller au marché, occuper des logements (sociaux, intermédiaires ou privés), aller au restaurant… L’idée est d’en faire un nouveau lieu de vie au cœur de Paris. Nous avons été très fiers de remporter le concours et de pouvoir proposer cette réalisation… dans des temps records ! Sachant que certaines administrations n’ont pu partir à temps et que l’épidémie de Covid a, bien sûr, ralenti le chantier… Proposer en moins de six ans un tel immeuble à Paris était une gageure. Nous avons relevé le défi car l’ensemble sera livré l’année prochaine, comme promis.

Qu’est-ce que cette victoire dans le cadre de Réinventer Paris a changé pour vous ?

Cette formidable idée a eu pour immense avantage de « rebattre les cartes » dans la profession. Nous sommes nous-mêmes passés du statut d’« outsider » à celui de « challenger ». Ce défi nous impose donc de nous réinventer en permanence, de trouver des solutions. Notons que « Morland Mixité Capitale » n’a connu qu’un seul recours. Un tel projet, c’est un formidable « booster » des énergies. Et je pense que nous pouvons être fiers du bâtiment qui sera ainsi livré…

Et les conséquences pour l’entreprise elle-même ?

Nous avions déjà engagé, comme je l’ai souligné, les transformations qui ont permis à Emerige de multiplier par dix ses livraisons de logements : nous avons ainsi massivement recruté, faisant passer le nombre de salariés dans le secteur logement de 12 à 130 aujourd’hui. Notre objectif, clairement défini et présenté : être le promoteur du Grand Paris. Nous multiplions dans les 100 communes (nous sommes d’ores et déjà présents dans la moitié d’entre-elles) les contacts afin d’identifier le foncier et de proposer des solutions qui conviennent aux élus et aux futurs habitants de nos immeubles, bien sûr !

Justement, quels sont vos rapports avec les élus et que pensez-vous du ralentissement de la construction neuve ?

Notre métier consiste à s’adapter à la demande et aux usages : des élus bien sûr, en premier lieu, puisqu’ils délivrent les permis de construire. Et beaucoup d’entre eux sont des passionnés du sujet. Citons, parmi beaucoup d’autres, Bertrand Kern à Pantin qui aime l’architecture innovante ou Vincent Jeanbrun à l’Haÿ-les-Roses. Je crois qu’il est toujours possible de trouver des solutions. Nous avons eu ainsi, sur notre grand projet à Picpus (dans le 12ème arrondissement de Paris), des discussions passionnées et passionnantes avec les élus, dont Emmanuel Grégoire et la maire de l’arrondissement, mais aussi les riverains et habitants du quartier. Le projet a été revu : en augmentant notamment les surfaces vertes. Quand on veut vraiment s’engager dans une discussion, on arrive toujours – je crois – à des solutions. Je pourrai multiplier les exemples, comme avec « Beaupassage », dans le 7ème arrondissement, un endroit de Paris complexe et recherché. Il en est de même du dialogue avec les architectes, et nous sommes heureux d’avoir pu faire éclore une génération d’architectes talentueux.

Nous avons évoqué votre implication dans l’opération « 1 immeuble, 1 œuvre » ; avez-vous été innovant dans d’autres dossiers ?

C’est aussi une des caractéristiques d’Emerige. En matière d’urbanisme transitoire, par exemple, nous avons, dès 1993, mis à la disposition d’artistes un immeuble que nous réalisions, avec Espaces Ferroviaires, rue du Perche, à Paris. Et depuis, nous n’avons jamais cessé de leur offrir les espaces de nos immeubles en devenir. Sur l’ensemble « Morland » (44 000 m2 rappelons-le), nous avons participé à l’opération «grands froids» pour accueillir des personnes en difficultés et sans abris. C’est une action qui me tient à cœur.

Et quelles autres actions menez-vous, notamment dans le domaine artistique ?

J’ai toujours souhaité soutenir la création artistique en France. C’est, me semble-t-il, un devoir. Nous avons donc créé la Bourse Emerige qui, en quelques années, a pu ainsi soutenir et faire connaître une centaine d’artistes talentueux. Chaque année, cette Bourse fait parler d’elle et je suis heureux d’avoir pu aider ces créateurs à partager leurs œuvres. Une autre initiative, à laquelle je suis personnellement très attachée, est notre action à Versailles. A l’origine, il s’agissait d’accompagner des jeunes des mi- lieux les plus fragiles à se confronter à la création contemporaine telle qu’elle était présentée au château. Puis, peu à peu, nous avons su évoluer et présenter à ces jeunes, dans une journée où Versailles leur est entièrement réservé, l’ensemble des facettes de l’architecture de ce chef d’œuvre de l’art français. C’est un grand succès puisque nous accompagnons ainsi, chaque année, plus de 5 000 jeunes qui découvrent cet endroit magique.

Vous êtes également président du conseil d’administration du Palais de Tokyo et « Le Monde » vous présente comme « l’un des mécènes les plus influents de l’art en France »…

J’ai toujours aimé l’art contemporain et il me semble que le métier de promoteur, avec ses facilités – et ses difficultés ! – a une mission de partage envers tous les publics. Le Palais de Tokyo est une magnifique institution, que je connais et fréquente depuis longtemps. Il est important aujourd’hui d’en préserver l’indépendance et l’originalité, surtout après le départ de la talentueuse Emma Lavigne [pour prendre la direction générale de la collection Pinault, Ndlr] dont les initiatives étaient de très haut niveau.[courez à l’expo Anne Imhof ou connectez-vous sur le site du Palais de Tokyo pour la découvrir virtuellement, Ndlr]

Une dernière question, plus prosaïque : quels sont aujourd’hui les chiffres clés d’Emerige ?

Grâce à la mobilisation de nos 200 salariés, notre chiffre d’affaires prévisionnel pour 2021 doit atteindre 420 millions d’euros pour un résultat prévisionnel d’une trentaine de millions d’euros. Nos objectifs pour 2023 ? Atteindre un chiffre d’affaires de 720 millions d’euros pour un résultat double de celui de 2021…

Laurent Dumas (Emerige) : être promoteur, tout un art...