Stanislas Pottier, quinquagénaire à la ligne de jeune homme éternellement souriant, s’est prêté volon- tiers à un entretien pour Immoweek, avec cette exquise politesse de laisser penser qu’il a tout son temps à nous consacrer, alors que l’on sait son emploi du temps « overbooké ». Rappelons la suc- cession des choses. Dès 2016, BBCA accouchait d’un label – premier du genre dans le monde ! – un sytème métrique spécifique pour le bâtiment bas carbone, offert gratuitement à l’industrie immobi- lière, réputée premier émetteur de CO2, mais outil- lée désormais avec de quoi relever le défi de la neu- tralité carbone d’içi 2050. Un label conçu par des praticiens et qui leur permette très concrètement de tracer, année après année, cette fameuse trajectoire fixée par Jean Jouzel lors de l’attribution du prix Nobel au Giec, dès 2007 : « il s’agit de réconcilier tout le monde avec la construction qui est encore nécessaire (sic !). Il faut construire encore, mais mieux et propre». C’est cette trajectoire que Stanislas Pottier a décidé très tôt de faire sienne. Diplômé de l’Ena en 1994, il passe deux années à Washington à la Banque Mondiale, puis cinq ans auprès de Christine Lagarde, conseiller puis direc- teur de cabinet à Bercy, avant d’influer auprès de ses réseaux amicaux (le toujours très influent Hubert Védrine, mais également l’homme de presse Laurent Mayet avec qui il fondera le think tank Le Cercle polaire) pour pousser Michel Rocard à accepter en 2009 l’offre du Président de la République Nicolas Sarkozy, juste après que les Russes aient planté un drapeau en titane sous les eaux noires et glacées du pôle, de devenir ambassadeur chargé de la négocia- tion internationale pour les pôles arctique et antarc- tique. Stanislas Pottier devient officiellement le conseiller de cet ambassadeur très spécial, qui agit non pas au nom de la seule nation France, mais pour le bien commun de l’Humanité. On est encore loin du Bâtiment Bas Carbone, me direz-vous…

Dès 2011, le serviteur de l’Etat est recruté par la banque « verte », le Crédit Agricole, qui crée pour lui le poste de directeur du développement durable, membre du comité de direction. Une direction fonctionnelle qu’il se chargera, par son génie propre, de transformer en direction opérationnelle. Il est partout en France, en Europe, dès qu’on parle d’orienter les investissements vers le développe- ment durable. Ce sera donc bientôt la création du label BBCA. En 2018, il est nommé directeur de l’investissement responsable d’Amundi, filiale du Crédit Agricole, un des premiers gestionnaires d’ac- tifs en Europe avec plus de 2 000 milliards d’euros ! A charge pour lui, mais la vocation n’est pas nou- velle, de réfléchir (comprenez beaucoup écrire) auprès de son président Yves Perrier, qui ne tardera pas à le nommer « senior advisor to the general management » (difficile à traduire en français, si ce n’est en dévalorisant la fonction). Pas surprenant qu’on retrouve la signature des deux hommes sur le Rapport Perrier remis en mars à Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, qui lui avait confié la mission quatre mois plus tôt seulement, de « faire de la place financière de Paris une référence pour la transition climatique : un cadre d’actions » ou, pour le moins, de dire les moyens d’y arriver. Clairement, on compte en haut lieu sur Stanislas Pottier pour rameuter ses amis de la société civile. Des clients d’Amundi, les détenteurs de fonds, jusqu’aux acteurs aval de la filière immobilière. Le salon Sibca, premier du genre, répond à ces intérêts supérieurs.

« Moins de cinq ans après sa création, le label BBCA s’est définitivement installé »

La lettre de mission du ministre d’Etat avait donné le ton : « si l’Etat y prendra toute sa part, relever le défi de la lutte contre le changement climatique suppose que la place de Paris s’engage davantage ». L’Américain Black Rock, leader mondial de la gestion de fonds aux méthodes longtemps décriées de ce côté de l’Atlantique, et qui se veut désormais le champion du sustainable impact, lui-même peut-être bousculé par le remuant concurrent français que devient Amundi, n’a pas manqué récemment de faire remarquer dans ses cahiers d’analyse que le Rapport Perrier soulignait que « les cadres normatifs ne sont pas stabilisés (…) et que s’il dresse un inventaire des outils existants (taxonomie européenne, comptabilité extra- financière, bilan carbone des entreprises, notation ESG, méthodologies d’analyse, ébauches de standards internationaux), les auteurs laissent bien voir le foisonnement issu de cette absence de cadre, contre lequel le rapport met en garde ». Dont acte. Stanislas Pottier avec le label BBCA et désormais le salon annuel Sibca y pourvoiront.

Le Rapport Perrier (à la Documentation française), 120 pages exceptionnellement pédagogiques, appelle, en effet, à davantage d’harmonisation. Sept ans après que le reporting extra-financier soit devenu obligatoire pour les institutions financières (art. 173 de la loi sur la transition énergétique de 2015, art. 29 de la loi énergie-climat de 2019), le Rapport déplore que les cadres d’analyse soient encore loin d’être harmonisés, et qu’il n’y ait pas de réels développements prévus à date sur les standards d’analyse (…) hormis une réglementation européenne attendue pour 2023 encadrant la notation extra-financière, mais qui ne devrait a priori pas légiférer sur les méthodologies elles- mêmes afin de ne pas freiner l’innovation dans cette matière peu mature. Peu mature… Qu’en termes élégants ces choses là sont dites…

Stanislas Pottier n’avait pas attendu d’écrire les attendus du Rapport Perrier pour inciter l’association BBCA à dévoiler dès janvier 2021 le Top 10 des Maîtres d’Ouvrage, classés par nombre d’opérations et par surfaces labellisées Bas Carbone. Où l’on réalise que tous les grands promoteurs généralistes y sont, avec un seul promoteur « tout bois», il s’agit sans surprise de Woodeum, le premier historique du genre. Ce qui prouve que moins de cinq années après sa création le Label BC s’est définitivement installé au cœur de l’offre du bâtiment neuf. On notera que le label BBCA n’est pas prescripteur d’une solution constructive spécifique plutôt qu’une autre parmi la gamme des matériaux biosourcés et géosourcés, issus des ressources renouvelables d’origines végétale et parfois animale, comme le bois, le chanvre, la ouate de cellulose, le coton, la laine, le lin, la paille, ou encore le miscanthus, même si l’on découvrira sans surprise que la majorité des exposants du Sibca ont recours principalement, voire exclusivement au bois.

Après le label et le Top 10, Stanislas Pottier annonçait en mai dernier que BBCA « s’attelait à un nouveau défi : déterminer les caractéristiques d’une Exploitation Bas Carbone exemplaire. Après avoir commencé par la construction neuve bas carbone, agir sur l’existant devenait vite indispensable. Nexity, membre fondateur de BBCA (en tête du premier Top 10), et partenaire – avec Gecina – de l’opération Exploitation Bas Carbone, par la voix de sa directrice générale Véronique Bédague, rappelait que son groupe « travaillait l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle immobilier ».

Ajoutons que, sans coup férir, après le label, le Top 10, et l’Exploitation, BBCA, pionnière toujours, lancera au Sibca, le « label Quartier » à l’ambition encore plus énorme puisqu’il s’agit, ni plus ni moins, « de mesurer les émissions carbone du quartier, de valoriser les bonnes pratiques mises en œuvre et de mettre en lumière les quartiers exemplaires en terme de décarbonation du cadre de vie ». Au-delà du bâtiment, BBCA/Sibca s’attaque à rien de moins qu’à la mobilité quotidienne, aux déchets et aux transports de marchandises. Et pourquoi pas à d’autres postes tels que l’alimentation ou les biens et services consommés. On ne s’adresse plus seulement aux investisseurs et aux maîtres d’ouvrage, mais carrément aux territoires et à leurs élus. A la grande politique ?

Résumons : notre haut fonctionnaire Stanislas Pottier fait remonter à 2014-2015, le moment de bascule, celui où lui et ses amis proches comprennent « qu’investir dans le responsable, ça paie ! » et n’ont de cesse depuis lors de conduire un changement à grande échelle, en faisant converger les efforts des entreprises et des institutions pionnières, en leur fixant des objectifs de plus en plus ambitieux.

Mais dites-moi, monsieur le conseiller quel intérêt pour le monde de la finance de s’engager au-delà des normes dans une démarche créatrice d’impact positif ?

« Anticiper et dépasser les normes et réglementations est aujourd’hui une stratégie différenciante, créatrice de résilience et, donc, de valeur ! ». Foi de banquier…

Oui, mais ça bouscule et ça dérange et ça fait de vous, l’homme de réflexion, un agitateur, non ?
« Je préfèrerais qu’on dise une sentinelle et un défricheur ».

[Portrait] Stanislas Pottier (Association BBCA) : le défricheur